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Manif d'Art 5

Mot de la commissaire

Catastrophe? Quelle catastrophe!
Nous vivons tous dans un monde catastrophique!

La catastrophe est un concept pluto?t e?trange et curieux. L’e?ve?nement catastrophique est toujours distant, la?, sur notre e?cran de te?le?vision ou re?prime? par nos me?canismes de de?fense psychique. Mais la catastrophe est e?galement toujours ici, a? pre?sence variable. Le champ de bataille de la catastrophe est exceptionnellement vaste, englobant les mathe?matiques, la physique, la biologie et leurs domaines d’application, sans oublier la philosophie et les arts. Simultane?ment ici et ailleurs, par sa nature paradoxale et double, la catastrophe n’en est que plus puissante politiquement.
La catastrophe est ne?cessairement aussi au centre de la pense?e occidentale, causant ses ravages a? travers les sie?cles, particulie?rement doue?e pour renouveler son apparence afin de re?pondre aux besoins de chaque nouvelle e?poque. Cependant, cela ne signifie pas que la catastrophe soit non historique ou transhistorique. Chacune de ses re?inventions posse?de son juste e?quilibre de conformite? et d’exce?s lui permettant, apparemment, de s’emboi?ter dans les structures narratives existantes tout en ope?rant de profondes transformations sociales, e?conomiques et politiques. En soi, le niveau d’universalite? de la catastrophe re?side pre?cise?ment dans sa spe?cificite? historique : un intime tango entre l’e?tat et l’e?ve?nement. Mais c’est e?galement son talon d’Achille ou la ligne de faille de sa structure, ce qui s’ave?re un sol fertile pour les artistes.

En quoi cela est-il en relation avec l’art contemporain ? Ou avec la ville de Que?bec ? Pourquoi utiliser la catastrophe – et son ine?vitable connotation spectaculaire – comme un prisme ou? jauger l’art contemporain et une plateforme ouverte sur le dialogue et le de?bat avec vous ?

Alors que la catastrophe domine l’imaginaire contemporain et les me?dia, son travail de fond demeure insaisissable. Son hypervisibilite? pre?serve sa ne?cessaire et fondamentale invisibilite?. Ce qui signifie que l’omnipre?sence de l’e?ve?nement catastrophique agit tel un e?cran de fume?e, assurant l’imperceptibilite? me?me du travail de fond de la catastrophe. Politiquement, la catastrophe est utilise?e pour justifier la promulgation d’e?tats d’exception. Mais dans les dernie?res anne?es, on nous a servi la catastrophe a? titre de mesure pre?ventive. Nous n’avons de?sormais plus besoin de l’e?ve?nement catastrophique pour nous voir soumis a? la logique de la catastrophe. De ce fait, sa valeur temporelle s’est modifie?e et son champ ope?ratoire s’est e?tendu a? l’entie?rete? du temps et de l’espace. Tellement que la catastrophe est devenue l’e?tat d’e?tre de la vie contemporaine.

Il y a quelques milliers d’anne?es de cela, la catastrophe e?tait l’apoge?e du the?a?tre grec. Au cours de la Deuxie?me Guerre mondiale, Walter Benjamin avanc?ait cette fameuse de?finition de l’histoire : « une seule et unique catastrophe qui continue d’empiler les de?combres ». Plus re?cemment, Slavoj Žižek de?montrait que la catastrophe s’est e?tendue a? l’avenir : « la ve?ritable catastrophe est
de?ja? en vie, remuant dans l’ombre de la perpe?tuelle menace de la catastrophe ». La vie de tous les jours est de?sormais le terrain de jeu, a? petite e?chelle, ennuyeuse me?me, de l’incessante et ine?luctable catastrophe. Elle se fait aussi le the?a?tre de l’exception ou? de?mocratie et e?galite? en sont re?duites a? de simple questions de forme. Ou, ce qui revient a? dire que la catastrophe est la tapisserie de nos vies quotidiennes, la partition musicale de notre drame journalier.

La Manif d’art 5, cette anne?e, c’est plus d’une trentaine d’artistes investissant divers lieux au cœur de la ville, livrant de nouvelles œuvres, ou adaptant des projets re?cents. Collectivement, ils font appel au discernement et pre?sentent des strate?gies de re?sistance au lent, incessant et non- spectaculaire travail de la catastrophe. Ces cre?ateurs explorent divers aspects de la question. Leurs projets prennent la forme d’une re?flexion et vous feront indubitablement re?fle?chir autrement sur le monde – et sur votre place dans le monde. Pour moi, c’est la? que l’art prend toute son importance.

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